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Les obligations linguistiques qui incombent aux professionnels - Loi 96

Dernière mise à jour : 28 oct. 2022


Relançant le débat linguistique au sein de la belle province, le projet de Loi 96 adopté par l’Assemblée nationale du Québec en mai 2022 soulève les passions. Cet époussetage de la Charte de la langue française, qui suscite la controverse aussi bien dans l’enceinte du Salon bleu que dans le milieu des affaires, oppose en effet ceux qui fustigent un texte « calculateur et mesquin » à ceux qui considèrent cette mesure comme nécessaire face au recul de la langue française au Québec.


Indépendamment des obédiences politiques de chacun, l’effervescence médiatique qui entoure la Loi 96 invite à un rappel opportun des obligations linguistiques qui incombent aux professionnels.


C’est précisément à cet exercice que s’est livré Guillaume Rousseau, avocat et professeur titulaire à l’Université de Sherbrooke, lors de l’école d’été du cabinet Boavista Services Juridiques qui s’est tenue le 1er septembre 2022. Au cours de sa présentation, Me Rousseau avait alors identifié quatre obligations principales.


L’obligation de proposer des services en langue française


Cette première exigence est consacrée à l’article 30 de la Charte de la langue française (CLF). Celui-ci dispose que les entreprises d’utilité publique, les ordres professionnels ainsi que leurs membres doivent faire en sorte que leurs services soient disponibles dans la langue officielle de la province.


En veillant à ce que cette obligation linguistique soit observée par leurs membres, les ordres professionnels jouent en effet un rôle de premier ordre dans la promotion de la langue française. Cela s’est par exemple vérifié dans l’affaire Migneault c. Yeh Ching Chuan (Chuang) de 2007, dans laquelle un acupuncteur avait été accusé d’avoir exercé sa profession sans avoir une connaissance suffisante du français ou même de l’anglais. En l’espèce, le comité de discipline de l’ordre des acupuncteurs avait estimé que l’intimé, au regard de son incapacité à proposer un service en français en vertu de l’article 30 de la CLF, avait posé un geste contraire à l’honneur et à la dignité de la profession (article 59.2 du Code des professions).


On pourrait alors penser que les ordres professionnels participent sciemment au rayonnement de la langue française au Québec. Toutefois, dans une autre décision rendue la même année, le comité de discipline des acupuncteurs se défend de jouer un rôle actif de francisation. L’organe rappelle à ce titre que la mission des ordres professionnels consiste uniquement à s’assurer que leurs membres ont toutes les compétences requises pour exercer. Or, il s’avère qu’au regard de l’usage intensif de la communication verbale au travail, la compétence langagière est essentielle pour servir les clients adéquatement.


L’obligation de posséder et de maintenir une connaissance suffisante de la langue officielle


L’exigence de posséder les raffinements du vocabulaire technique lié à la profession était déjà prévue par l’article 35 de la CLF. Celui-ci dispose en effet que les ordres professionnels ne peuvent délivrer de permis qu’aux personnes qui ont une connaissance de la langue officielle appropriée au regard de leur domaine d’activité.


Néanmoins, l’article 35.1 qui accompagne l’entrée en vigueur de la Loi 96 permet de consolider cette obligation, en rendant obligatoire le maintien dans le temps de cette connaissance appropriée. Au surplus, l’article 35.2 intègre un mécanisme de mise en conformité permettant aux ordres professionnels, pour des motifs sérieux, d’imposer aux membres ne remplissant pas ces conditions de recouvrer une connaissance appropriée du français par l’intermédiaire de cours de perfectionnement.


L’obligation de fournir des documents en français sans frais de traduction


L’article 30.1 de la CLF dispose que les ordres professionnels doivent fournir en français et sans frais de traduction tout avis, opinion, rapport, expertise ou autre document qu’ils rédigent à toute personne autorisée à les obtenir et qui leur en fait la demande.


À certains égards, cet article renverse la décision R c. Sutton de 1983, dans laquelle le tribunal avait donné raison à l’orthopédiste qui avait réclamé à son patient des frais additionnels afin de traduire un rapport médical de l’anglais vers le français. Dans cette affaire, les juges étaient également parvenus à la conclusion que la gratuité d’une telle traduction ne pouvait être accordée que si le patient en faisait la demande au moment de bénéficier du service en question.


En 2013, les auteurs Klinck, Ravon, Dubois et Hachey critiquaient déjà cette conclusion en soulignant qu’au regard de l’article 30 de la CLF, l’offre de service en français devait être « active », c’est-à-dire générale et permanente. En d’autres termes, le fait que la traduction gratuite d’un document en français soit assujettie à une demande préalable de la part du patient n’était pas compatible avec l’objet de l’article 30 de la CLF.


Il convient en outre de rappeler que cette exigence de gratuité s’impose aussi bien aux professionnels exerçant dans le secteur public qu’à ceux affiliés au secteur privé (Bouffard c. Janvier, 2005)


L’obligation pour le professionnel de s’inscrire auprès de l’Office québécois de la langue française (OQLF)


Parmi les autres nouveautés introduites par la Loi 96, on observe une volonté d’étendre la portée de l’article 139 de la CLF. Ainsi, à partir du 1er juin 2025, les entreprises qui emploient au moins 25 employés (contre 50 précédemment) durant une période de six mois devront s’inscrire auprès de l’OQLF.


Cette inscription s’accompagne d’une obligation de transmettre à l’Office une analyse de la situation linguistique de l’entreprise. Par l’entremise de ce rapport, l’OQLF souhaite s’assurer que l’usage du français est généralisé à tous les paliers décisionnels des sociétés québécoises. À défaut d’une telle constatation, l’Office imposera à l’entreprise, en vertu de l’article 140 de la CLF, l’obligation de suivre un programme de francisation.


Ces quatre exigences étant posées, le professeur Rousseau rappelle au besoin que ce corpus de normes, qu’elles soient anciennes ou nouvellement introduites par la Loi 96, ne vise qu’à assurer la qualité et la préservation du français en tant que langue officielle provinciale.


Au surplus, il souligne qu’en vertu de l’article 89 de la CLF, absolument rien ne s’oppose à l’usage concomitant de plusieurs langues au Québec dans tous les cas où la loi n’exige pas l’emploi exclusif de la langue officielle.








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